Publié par CEMO Centre - Paris
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Alexandre Del Valle
Alexandre Del Valle

Le stratégie néo-califale d'Erdogan et les visées turques sur les hydrocarbures et les ex- colonies ottomanes en Méditerranée...

mardi 07/janvier/2020 - 04:39
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Le 2 janvier, le Parlement turc a autorisé un déploiement de son armée en Libye en soutien au gouvernement pro-islamiste de Fayez Sarraj, à Tripoli, face à l'armée nationaliste du Maréchal Haftar soutenue par les Emirats, la Russie et l'Egypte. L'arrivée en Libye de combattants islamistes exfiltrés de Syrie par des militaires turcs est une mauvaise nouvelle pour l'Union européenne, car nombre de jihadistes vont pouvoir se mêler aux flux de "migrants" et gagner l'UE... Erdogan, que les Frères-musulmans voient en futur Calife, confirme ses visées impérialistes en reprenant pied dans les anciennes provinces ottomanes (Chypre, Grèce, Irak, Syrie, Libye, Tunisie). La Turquie convoite surtout les immenses réserves d'hydrocarbures de Libye et de Méditerranée orientale sous couvert de "défense des musulmans et des minorités turques persécutés"...

Moins de trois mois après sa troisième opération militaire dans le Nord de la Syrie qui a entraîné le massacre de milliers de Kurdes et l'exode de centaines de milliers d'entre eux, lâchés par les Etats-Unis, le président Erdogan réitère sa politique d'ingérence agressive cette fois-ci en Libye. Nostalgique du Califat turc-ottoman qu'il a déclaré vouloir "rétablir en 2024", cent ans après son abolition par le laïque Atätürk détesté par tous les islamistes, Erdogan veut élargir la "profondeur stratégique" de son pays dans les anciennes colonies ottomanes, officiellement au nom de "la défense des musulmans" et des "minorités turques". Cette diplomatie belliciste menace la Syrie et la Libye depuis les printemps arabes, mais elle est ancienne à Chypre, où l'armée d'Ankara empêche manu militari le gouvernement légal de Nicosie de procéder à des forages d'hydrocarbures au sud. Ceci alors que la Turquie n'y a aucun droit et qu'elle est une puissance occupante illégale du Nord (37% de l'île) depuis l'opération Attila (tout un programme!) de 1974. Et depuis que d'immenses réserves de gaz off-shore ont été découvertes dans les années 2000, l'antagonisme avec la Grèce, dont Ankara revendique illégalement les îles de la Mer Egée, comme avec Chypre et les pays arabes riverains de la Méditerranée orientale riche en gaz et en pétrole off-shore, est à comble.

Irrédentisme néo-ottoman/panislamiste au service de la guerre énergétique et de desseins électoraux internes

La Turquie est non seulement un territoire de transit pour le gaz et le pétrole arabes et perses du Golfe puis turcophone et russe de la zone Caucase-Mer Caspienne, mais elle revendique une part des énormes réserves de gaz off-shore découvertes ces dernières années au large de la Syrie, du Liban, de Chypre, de la Grèce, d'Israël, de l'Egypte et de la Lybie, dont elle conteste les accords de répartition et de délimitation des zones maritimes souveraines entre pays riverains. C'est la raison pour laquelle Ankara ne cesse de remettre en question ses frontières maritimes, mène des activités de forage illégales au large de Chypre; revendique des "droits historiques" en Mer Egée au détriment de la Grèce; et empêche par sa flotte navale militaire les entreprises française et italienne total et chypriotes de forer au sud de Chypre. Une provocation/scandale inouïs que l'Union européenne a condamné en vain en novembre dernier: Ankara a répliqué qu'elle continuerait de plus belle... Etonnante attitude de la part d'un pays-candidat à l'intégration au sein de l'UE! "Nous avons étendu au maximum l’espace sur lequel nous avons autorité. Nous pouvons y mener des activités d’exploration conjointes et

 

aucun autre acteur international ne pourra, sans autorisation préalable, mener d’opérations d’exploration dans les zones couvertes par cet accord. Chypre, l’Egypte, la Grèce et Israël ne peuvent pas construire de pipeline pour le transport de gaz sans avoir d’abord obtenu la permission de la Turquie », a déclaré Erdogan dans un style qui éclaire sur la nature prédatrice de sa vision. Son slogan des années 2000 "zéro ennemis", destiné à amadouer les naïfs européens favorables à l'adhésion turque, fait aujourd'hui hurler de rire. Dans une émission diffusée le lundi 10 décembre sur la chaîne turque TRT, le néo-sultan a d'ailleurs prévenu que la Turquie mènerait des « activités d’exploration conjointes » avec la Libye, au large de Chypre, dans le cadre de l'accord conclu le 27 novembre entre Ankara et le gouvernement islamiste de Tripoli qui viserait à « défendre les droits de la Turquie dans la région »... Hydrocarbures et irrédentisme turco-ottoman: voilà les deux motifs qui expliquent la décision turque d'envoyer militaires turcs, miliciens islamistes pro-turcs et même jihadistes internationaux et arabes vaincus en Syrie vers l'ex-colonie ottomane libyenne, dont la capitale, Tripoli, est menacée par le général Haftar, l'homme fort de l'Est de la Libye. Premièrement, Erdogan justifie ce néo- colonialisme irrédentisme par le fait que ses alliés libyens sont les combattants islamistes de Misrata, comme par hasard descendants de colons turc-ottomans, et secondo, il est évident que si le gouvernement du Premier ministre libyen pro-frères-musulmans Fayez Sarraj, lui- même fier d'être descendant de Turcs, tombait, Erdogan perdrait un avant-poste stratégique en Méditerranée et en Afrique, où Ankara ne cesse d'établir des bases militaires et comptoirs (Libye; Soudan, Somalie, Tunisie) qui complètent ceux de Chypre, de mer Egée grecque, de Syrie et de Gaza.

La diplomatie frériste et pro-jihadiste au service des hydrocarbures

Depuis des mois, Erdogan négocie avec Moscou, Téhéran et Damas l'exfiltration problématique de combattants frères-musulmans, pro-turcs et jihadistes que la Turquie était censée réduire mais qu'elle a utilisés pour massacrer les Kurdes au nord de la Syrie et qu'elle a laissé prospérer à Idlib (Ouest), où sont concentrés 12000 jihadistes d'Al-Qaïda et où même le Calife de Daech, Al-Baghdadi, a pu se cacher jusqu'à ce qu'Ankara le livre aux Etats-Unis en échange du lâchage des Kurdes négocié avec Trump. Voulant ainsi faire d'une pierre deux coups, Erdogan, fin stratège, a officialisé sa politique de transfert de jihadistes turkmènes, arabes et internationaux (dont des "Européens") de la Syrie vers la Libye, où ils sont chargés d'aider le régime de Sarraj à résister aux assauts d'Haftar, qu'Erdogan ne veut surtout pas voir stabiliser et réunifier la Libye. D'après l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), la Turquie aurait déjà envoyé 300 jihadistes vers Tripoli depuis 8 jours et les combattants islamistes/jihadistes turcs seraient déjà plus de 500 en Libye, dont des anciens membres d'Al- Qaïda du front al-Nosra). 1600 autres sot en ce moment même entraînés dans des camps en Turquie et dans le Nord de la Syrie... Comme l'a révélé Middle East Eye, des milices islamistes pro-turques qui ont commis de terribles crimes de guerre en Syrie, notamment la division Sultan Murad, composée de Turkmènes syriens, les brigades Suqour al-Sham (Faucons du Levant) qui comporte nombre de jihadistes français et européens; et Faylaq al-Sham (Légion du Levant), forte de 4 000 hommes et est affilié aux Frères-musulmans égyptiens, ont pris pied en Libye. Rappelons que les liens unissant les fronts syrien et libyens sont solides: l’Armée syrienne libre avait été alimentée massivement par des jihadistes du Groupe islamique combattant en Libye (GICL), qui avaient notamment sévi au profit d'Al-Qaïda en Iraq, puis de l’Otan en Libye pour renverser Mouammar Kadhafi.

 

La Tunisie des Frères musulmans dans le jeu panislamiste et jihadiste néo-ottoman

Sans surprise, une autre place-forte ex-(néo-)ottomane pro-turque, que les Frères- musulmans d'Ennahda viennent de reconquérir récemment, la Tunisie, participe à

ce processus de migration jihadiste: d'après un accord négocié le 25 décembre dernier entre les présidents tunisien Kaïs Saïed et turc Recep Tayyip Erdoğan (accompagné par Hakan Fidan, le chef de ses services secrets turcs, le MIT, et ses ministres des Affaires étrangères et de la Défense), Kaïs Saïed a assuré son homologue turc qu'il pourrait utiliser l’aéroport et le port de Djerba afin de transférer des jihadistes vers Tripoli et Misrata. Simultanément, en vertu de l’accord signé avec le gouvernement d’union nationale » (GNA) de Fayez Al-Sarraj, la Turquie pourra disposer d’un port d’attache en Libye, d’où elle pourrait étendre son influence sur toute la Méditerranée orientale.

Il est clair que ceci n'a rien de bon pour les Européens, dont la frontière italienne n'est qu'à 230 km des côtes libyennes contrôlées par les Islamistes fréristes liées au régime d'Erdogan. Bref, le néo-sultan/calife turc, grand adepte du chantage et des rapports de force, et qui cache de moins en moins son mépris envers les Européens culpabilisés et divisés, a à la fois dans ses mains l'arme des vrais Migrants illégaux et des faux migrants/vrais jihadistes. Comme l'a alerté de député égyptien et essayiste islamologue AbdelRahim Ali, président de l'influent Think Tank CEMO (Centre d'Etudes sur le Moyen Orient), "une partie de ces jihadistes acheminés par l'armée turque risque de faufiler parmi les masses de migrants illégaux arrivant de l'Ouest libyen vers le Sud de l'Italie ou Malte grâce aux passeurs et au soutien des ONG migrationnistes, un vrai casse-tête sécuritaire pour l'Europe, déjà en proie à une menace terroriste récurrente et incapable de neutraliser les "revenants" ou les jihadistes libérés de prison qui forment des centaines de prédateurs bientôt rejoints par des "pro-"venus de Syrie/Irak... Les exemples de terroristes qui sont déjà arrivés en Europe depuis la Libye ne manquent pas. Alagie Touray, un citoyen gambien arrivant à Messine, en Italie au printemps 2018 et en attente du statut de réfugié, avait planifié une attaque en Europe. Après son arrestation en Italie, une vidéo contenant un serment de fidélité à Daesh a été trouvée, enregistrée et envoyée par télégramme à une série de destinataires. Deux attentats terroristes majeurs d'ISIS, celui avec un camion en décembre 2016 sur un marché de Noël à Berlin par Anis Amri et l'attentat à la bombe contre le concert de Manchester par le terroriste suicidaire Salman Abedi en mai 2017, ont été revendiqués par l'Etat islamique et étaient liés à des réseaux islamistes de Libye.

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